Le hasard du calendrier a voulu que la projection se déroule au soir d'une journée de lutte sociale. Et nombreux.ses étaient dans la salle les personnes qui avaient manifesté tout au long de ce jeudi de fin d'été.
Pourtant, la date, retenue dès le mois de juin, portait un autre symbole. Celui de la fin d'une grève historique rennaise.
Le 18 septembre 1975, les caissières du Mammouth en grève depuis trois longues semaines étaient sorties du magasin occupé par leur direction. Cinquante ans plus tard, à l'invitation de Ghislaine Mesnage et de l'association Histoire du Féminisme à Rennes, elles reviennent dans un documentaire sur leur parcours derrière les caisses de ce qui fut le plus grand centre commercial de Bretagne.
Le documentaire « Nous, les caissières » réalisé par l'association Histoire du Féminisme à Rennes et piloté par Ghislaine Mesnage, elle-même ancienne caissière du célèbre magasin Mammouth Alma, ne porte pas directement sur ces trois semaines de revendication. Le parti pris est autre. « Nous avons voulu montrer des parcours de vie, parler des conditions d'embauche et de l'évolution des conditions de travail de ces femmes » rappelle Ghislaine Mesnage, caissière pendant treize ans et militante très engagée dans le syndicat de cet hypermarché rennais.
Des femmes soudées par les luttes
Inauguré en 1971, avec en invité exceptionnel Johnny Hallyday, le Mammouth Alma est à lui seul tout un symbole. Installé en ZUP Sud alors que les logements autour sont encore partiellement en construction, c'est à la fois le premier magasin de ce type - « troisième centre commercial à voir le jour en France » nous apprend Wikipédia - et un commerce de proximité. Aujourd'hui encore, les habitant.e.s du quartier se souviennent de leur bonheur de pouvoir « acheter tout ce qu'on voulait dans le même magasin ! »
Une chance pour Ghislaine Mesnage qui souligne le lien de confiance noué avec ces client.e.s et leur soutien apporté à la grève. « C'était nous qui changions les prix dans les rayons – raconte-t-elle – et quand il y avait des augmentations on distribuait des tracts pour informer les client.e.s »
« On » c'était la section syndicale créée dès les débuts du magasin. Affiliée à la CFDT jusque dans les années 2000, devenue CGT depuis, la section est toujours présente et active à Alma. Face aux directions successives, « plus paternalistes » au commencement, puis de moins en moins, les femmes qui constituent la majorité des employé.e.s de cet hypermarché ont réussi à obtenir de nombreux avantages.
Leurs luttes les ont aussi soudées. C'est ce que racontent Yolande, Sylvie, Marie-Hélène et Marjik dans le documentaire constitué d'interviews de ces femmes aujourd'hui retraitées mais aussi de nombreuses images d'archives, photos personnelles, coupures de presse et images vidéos tournées à l'époque. On imagine les mouvements sociaux mais aussi les soirées de fêtes, les petits plats et les moments de convivialité qui ont uni ces femmes.
Des conditions de travail qui se dégradent
Leur métier de caissières, elles l'ont rarement choisi. Il s'est plutôt imposé à elles parce qu'elles n'avaient pas pu faire d'étude, parce que celles qu'elles avaient faites ne leur plaisaient pas et que le chômage commençait à effrayer les parents, parce qu'il fallait gagner sa vie et qu'à Mammouth il suffisait de candidater pour être embauchée. Le jour même parfois, elles se retrouvaient derrière une caisse. Et souvent, elles y restaient toute leur carrière.
Finalement, ces jeunes retraitées le reconnaissent aujourd'hui : elles n'ont pas choisi mais elles ont accepté leur sort et ont aussi trouvé du plaisir dans ce travail. Dans leurs mots, on entend la solidarité entre elles, le bonheur de faire partie d'une équipe et les luttes collectives qui débouchaient sur des avantages : la présence régulière du Planning Familial que l'on pouvait consulter sur son temps de travail, l'obtention d'un transport en taxi après les « nocturnes » où l'on finissait de travailler à 22h 30 dans un quartier alors dépourvu de transports en commun et les retours à six ou sept caissières entassées dans la même voiture...
Derrière leurs mots, on entend aussi l'évolution d'emplois devenus précaires, les horaires « individualisés » qui ont mis fin aux équipes et donc à une certaine solidarité, les demandes toujours plus exigeantes des employeurs. Dans la salle, après la projection, des caissières d'aujourd'hui confirment une époque révolue. Loin des années 70, le travail en hypermarché est désormais synonyme de précarité, emplois à temps partiels, contrats courts souvent réservés aux étudiant.e.s, difficulté à faire corps et à mobiliser pour des luttes sociales, « flicage » des petits chefs...
Un syndicat qui forme et des femmes qui s'imposent
Sur l'écran elles semblaient pourtant fières de leur parcours ces femmes que d'aucuns dans la salle ont pu trouver « inspirantes ». Et Ghislaine Mesnage de se réjouir à distance de cette grève qui, si elle n'était ni la première ni la dernière, a marqué un tournant dans l'histoire des caissières. L'occupation des locaux, les nuits passées ensemble dans une atmosphère qu'on devine un peu potache, le soutien des client.e.s et d'autres secteurs d'activité... autant d'éléments qui vous boostent !
Délogé.e.s le matin du 18 septembre alors que les forces sont plutôt réduites par l'heure matinale, les salarié.e.s de 1975 hésitent à poursuivre leur mouvement. Cinquante ans plus tard, Ghislaine Mesnage, elle, n'a toujours pas désarmé. « Moi, je disais qu'il était encore possible de continuer la grève. Il y avait eu un appel dans toute la ZUP, des étudiant.e.s étaient venu.e.s nous soutenir. A midi, nous étions trois cents devant le magasin... mais la position des responsables syndicaux était de reprendre le boulot et de négocier. »
Le soir même Mammouth rouvre ses portes. Mais la lutte a payé puisque quelques années plus tard, le magasin sera racheté par le groupe Carrefour et que la convention collective ainsi obtenue sera beaucoup plus avantageuse pour les salarié.e.s.
Et l'expérience n'aura pas été vaine non plus pour ces femmes, la plupart très jeunes. L'engagement syndical aura pour elles des conséquences positives ; elles ont appris à s'imposer face aux hommes, elles ont pris la parole et défendu leurs droits. Même si certaines ont dû affronter les maris qui voyaient d'un mauvais œil les occupations nocturnes, même si d'autres se sont vu refuser des promotions parce qu'elles étaient syndiquées. La grève de 1975, cinquante ans plus tard, reste un bon souvenir.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : nouvelle projection du film « Nous, les caissières » prévue à Rennes à la Maison des Associations le 6 novembre à 18h, suivie d'une conférence de Ludivine Bantigny, historienne de l'histoire sociale.